Balla Moussa Keita. (Photo Vincent Fournier).

Les chroniques du Prince Mandingue

Ambassadeur itinérant de Financial Afrik, Balla Moussa Keita est un prince Mandingue qui a vu l’Afrique en transformation. Avec ce « voyage nostalgique au pays des Sarakolé », celui qui se définit comme un citoyen international, panafricaniste indécrottable, ouvre ses notes de voyages à nos lecteurs, à la rencontre de l’âme insaisissable de ce continent.

Pointe-Noire,  République du Congo. Mon ami Kébé Mahamadou, mon tuteur dans ce pays, m’annonce en 1984 d’un ton solonnel: «mes parents ont fiancé une femme pour moi et le mariage est prévu l’année prochaine à Kayes,  au Mali. Aussi, je réplique, étonné : «comment se fait-il qu’on doit choisir une femme pour toi ? N’as tu  pas le droit d’en choisir toi-même ?»

Non,  ainsi va la tradition , je dois m’y plier…
Moi : «c’est noté, le seul cadeau que je puisse te faire pour te témoigner mon amitié c’est d’effectuer le voyage avec toi et t’assister tout le long de ton mariage». Contrat conclu.
En juillet 1985, nous partîmes de Pointe-Noire pour Bamako via Brazzaville et Abidjan.  Le jour du départ de l’aéroport de Pointe-Noire,  quelle ne fût ma surprise, en y arrivant, de trouver une foule immense, qui avait pris d’assaut le hall de l’aéroport… oui c’était la communauté Sarakolé dans son ensemble, venue faire ses adieux à mon ami. les Sarakolés sont un peuple  très soudé, qui sait donner,  au sens noble du terme, de la considération à la famille et à l’amitié ….
Quand cette foule me vit descendre de la voiture, avec  mes bagages, pour effectuer le voyage avec leur parent, mon ami, il y eut des clameurs, des applaudissements en mon honneur. Mon ami avait informé certains de ses parents de ma décision mais ceux-ci n’y croyaient pas, pensant peut être que j’étais trop «toubab» à leurs yeux.

Un vol vraiment spécial

Arrivés à Brazzaville, nous allions emprunter un vol spécial qui allait faire de nous des témoins de l’histoire … Nous sommes informés que pour être admis sur le seul vol du jour, desservi par  Ethiopian Airways,  il fallait une autorisation de l’Agence nationale de l’aviation civile (ANAC). A l’époque, Ethiopian n’avait pas le droit d’embarquer des passagers depuis le Congo. Mais tout se négocie en Afrique.
Une fois dans l’avion, quelle surprise !!! Il y avait plus de 400 femmes, qui revenaient de Nairobi, après avoir assisté aux dix ans de l’année internationale des femmes. Les deux seuls hommes qui s’y trouvaient étaient le béninois Albert Tevodjre du Bureau International du Travail, auteur de L’Afrique Révoltée, publié en 1958, et La Pauvreté, richesse des peuples, en 1978 , le sénégalais Amadou Mahtar M’Bow, secrétaire général de L’UNESCO … et le malien Seydou Bodian Kouyaté, auteur de « Sous l’orage » et de l’hymne national du Mali et conseiller du président Sassou Nguesso. C’est ce que j’appelle être témoin de l’histoire !…
5 hommes entre 400 femmes…imaginez mon attitude…toute africaine. Le 5ème était l’oncle de mon ami et en même temps son parrain. Comme le veut  la tradition Sarakolé, il était venu de Libreville la veille pour s’embarquer avec nous…


Quel accueil une fois à Bamako ! M’attendant à ce qu’on célèbre le fils prodige, non c’est plutôt moi qui était à l’honneur.  La famille et les proches de mon ami cherchaient à me voir, à me parler… oui, à  me dire que mon geste était digne d’estime. Comment comprendre que quelqu’un puisse suivre leur fils  sans savoir s’il dormirait dans un foyer… sa condition sociale ?

Reçu en fanfare par notre hôte, le beau-père et oncle de mon ami (sa future épouse est sa cousine comme cela est de rigueur tout au long de la bande du Sahel où le mariage, endogamique à souhait en dépit des lois de Mendel, est d’abord une gestion clanique du patrimoine foncier et des secrets initiatiques), j’eus droit à des honneurs renouvelés. La première phrase du beau-père  est de me souhaiter la bienvenue par ces mots qui résonnent encore aujourd’hui en mon for intérieur: « jusqu’à notre mort, nous ne pourrons jamais te payer en contrepartie de ton  geste: suivre notre fils sans savoir qui il est exactement, s’il mange du foin ou du pain sec ?… Tu es un homme digne, tu as le sens de l’honneur. Ton geste démontre que tu viens d’une grande et noble famille… ». Le lendemain matin, mon hôte m’appelle pour me présenter une Toyota Super Saloon toute neuve, avec chauffeur: « cette voiture et son chauffeur sont à ta disposition 24 heures sur 24, durant tout ton séjour ».

Toute la famille, les voisins, ainsi que les jeunes du quartier étaient mobilisés pour rendre mon séjour agréable …. A vouloir faire plaisir à tout ce petit monde, je me suis permis de goûter au thé de bienvenue ( ce fameux Ataii que je retrouverai plus tard chez les Wolof, les Peuls, les Touarégues, etc ), qui m’a empêché de dormir pendant 2 jours… La situation n’a pas fait plaisir à tout le monde, parce que, à tort ou à raison, ce n’était pas que du thé…. C’est depuis ce jour que jour que je me méfie du  » Ataii », autre breuvage dont ont en partage les pays de l’actuel G5 du Sahel, le Sénégal et, de plus en plus, le Sahel humide.
Après 2 semaines à Bamako, il fallait partir pour la ville de Kayes, ville natale de mon ami,  distante de 614 kilomètres. C’est là que le mariage devait se dérouler. Le voyage s’effectuera par train dont 4 wagons sur 10 étaient occupés par les invités et les parents des mariés …

… Dans le train, il y avait de l’ambiance rehaussée par la présence des griots de renom. La  chaleur battait son plein et des insectes, de par les volets qu’on ne pouvait fermer, piquaient tous azimut. Osmose ou effluve, le parfum émanant de ces wagons était plus proche du Capharnaüm que du bain maure ! Après une journée et une  nuit chaudes, nous arrivâmes à Kayes, ville réputée être la première ou la deuxième la plus chaude d’Afrique après Djibouti.

Kayes, à 614 kilomètres de Bamako.


Notre descente du train m’a fait penser à Pointe-Noire… il y avait foule et, une fois de plus, c’était moi qui était à l’honneur.   “l’homme qui a suivi notre fils sans savoir s’il dormirait dans un foyer”, entendais-je de partout.  Les griots, malgré la fatigue du trajet,  chantaient des  louanges en hommage à  ma modeste  personne, en se référant à mes aïeuls  Soundiata KEITA et Kankou Moussa…! Modestement je m’engouffrai dans la voiture spécialement affrétée pour moi.
Une fois de plus,  quel accueil! J’étais attendu de pied ferme par les parents de mon ami.  Son père aussitôt qu’il me reçut me présenta différents cafés de plusieurs pays ( ivoirien, burundais, brésilien…etc ) et différentes cafetières.  Il  s’était renseigné auprès de mon ami, son fils, pour savoir ce que j’aimais, ce qui pouvait me faire plaisir pendant mon séjour.
Il me dit ceci : “je suis heureux et fier de toi, et aussi de mon fils parce qu’il a un ami comme toi ! Il est mon premier fils, c’est pourquoi j’ai mis le paquet, pour la réussite de son mariage, car je ne sais si je serais encore en vie pour le mariage de ses frères…”.

Et le patriarche d’ajouter: “l’immeuble de 4 étages que tu vois en face de toi, j’ai mis un an à le bâtir pour la réussite de ce mariage. La chambre que tu dois occuper se trouve au 4ème étage. Sache que tu es chez toi, n’hésite surtout pas chaque fois que tu as besoin de quelque chose…”
La  grand-mère de mon ami qui vivait encore et, comme par hasard, son père à elle s’appelait Moussa, ce qui était un plus pour moi, pour me prouver son estime, s’employa pendant tout mon séjour, à  être mon ange gardien.  Elle s’opposait par exemple à ce que je mangeasse tout plat venant  des jeunes filles de la ville. Ces belles dames qui attendaient pour la plupart le prince charmant voulaient  dans leur ensemble me témoigner de leur amitié…la vigilance de la grand-mère qui, chaque matin, voulait savoir si j’ai bien dormi, ce que je  souhaiterai manger, ce que voulais faire de ma journée, aura déjà bien des plans. Pénétrée des mystères des sociétés africaines, elle me mettait en garde contre certains plats, certaines des jeunes filles pour diverses raisons.

Difficile de déroger à ces conseils, la chambre de la grand-mère se trouvant tout juste au pied de l’escalier conduisant à mon appartement au quatrième. Aimable grand-mère, elle filtrait les plats et… les visiteuses. Pendant mon séjour, elle m’a couvert d’un inoubliable amour filial…
Tous les matins, j’étais réveillé par cette phrase devenue habituelle : “étranger, étranger, on t’a apporté un mouton.., un bœuf…”. J’ai eu en cadeaux  10 moutons et  7 bœufs.   
Quelle leçon de vie, quel  sens de l’honneur, de la dignité, et, en un mot,  de l’humanité  qu’incarne ce vaillant peuple Sarakolé ! En même temps qu’il te célèbre, ton instinct te conseille à toujours faire du bien, une manière de te dire, qu’au bout, il y’a la gratitude…
Je fus associé à toutes les réunions de famille qui ont précédées le mariage, même les plus secrètes… tout simplement pour eux, par l’acte que j’ai posé, je suis membre entier de la famille…. à chaque instant de ma journée, j’étais honoré. Il en sera ainsi  durant tout mon séjour !

Les amis d’enfance de mon ami qui m’invitaient tous les soirs ont une fois de plus porté leur choix sur moi pour parler en leur nom, présenter le discours du vin d’honneur, après la mairie où le oui du couple fut retentissant !
La soirée s’est déroulée dans la boîte de nuit « le Felou » au buffet de la gare de Kayes, une vieille bâtisse datant de la colonisation mais qui avait fière allure… la cérémonie fût belle !… les kayesiennes, parées dans leurs belles tenues, rivalisaient de beauté, d’élégance et de finesse ; il y en avait de toutes les tailles, de toutes les formes…. le choix était difficile.
Me comportant comme un coq dans la basse-cour, je fini par déclarer ma flamme à celle qui était dans mon viseur…. c’était la miss sortante ; une très belle Peule dont le prénom, traduit en français, veut dire «Maman» et qui tout de suite avant le premier pas de danse sur l’air des Bembeya Jazz, m’apprit bien des mots dans sa langue …c’était l’apothéose, la cerise sur le gâteau…. Comment oublier Kayes ?
La veille de mon départ, le père de mon ami me fit appeler: «mon fils ne sors pas ce soir avant 20h, j’ai besoin de toi…. ».  Il savait qu’une soirée était organisée en mon honneur par les amis d’enfance de son fils. 
Je me posais mille et une  questions. Pourquoi donc  le «vieux»  me disait d’attendre son feu vert avant de sortir ? Après la prière du crépuscule, je constatai que la cour se remplissait petit à petit.. hommes, femmes de tout âge, enchaînent les Salamalecs.. Au bout d’un moment, il était difficile de se frayer un chemin tellement la foule était immense !…
 » N’famoussa », ( papa Moussa ) viens ! C’est la grand-mère qui m’appelait, on me fit place dans la foule… ému, j’apprends que cette foule ici présente, composée des hauts dignitaires de la ville ( le gouverneur, les imams, les responsables politiques, administratifs et des anonymes ) était là pour me remercier, moi, l’étranger, d’avoir bien voulu faire des milliers de kilomètres par amitié.   Pour me rendre un dernier hommage avant de quitter Kayes … le père de mon ami prît la parole afin de me présenter tout en magnifiant mon geste, que je trouvais banal. Tour à tour, les différentes personnalités m’encensèrent de remerciements accompagnés de bénédictions entrecoupées par des «Amen». Je fus secoué de larmes … Les embrassades et les au revoir… durèrent longtemps et la cour se vida peu àpeu.  
Il m’a fallu du temps pour me lever. N’eut été l’intervention du père de mon ami, j’en aurait été incapable. L’émotion m’avait envahi… c’est dans cet état que je me rendis à la soirée d’adieu organisée par le  » grin  » de mon ami ; là aussi que de paroles aimables et de sagesse … 
Une fête en larmes ! ( titre d’un livre de Jean d’Ormesson ), telle fût la soirée… Les pleurs reprirent  le lendemain quand il  fallut partir pour la gare… pour le chemin du retour.. c’était la séparation, ce que je ne supporte jamais, tellement je m’attache… 
Soutenu par la bienveillante grand-mère, la résignée mère de mon ami, qui pendant mon séjour était aussi à mon petit soin, je m’assieds dans la voiture, en direction de la gare ,accompagné de mon ami et de son père…. la foule était encore là ! Quel peuple… !!! A son contact, vous vous faites une règle de vie: faire toujours du bien.  

Quelques années plus tard, je suis retourné à Kayes pour aller me recueillir sur les tombes de celle qui fût mon ange gardien, ma grand-mère, et de mon papa…Oui mon ami avait perdu son père et sa grand-mère.. Je garde encore contact avec cet ami devenu mon frère ; Mahamadou Kébé.  Je garde encore le souvenir du lait frais qu’on m’apportait tous les soirs et qui me fit tomber malade (détail que j’oubliais)  à 48 heures du mariage, ce qui mobilisa tout le monde à mon chevet.  Mais, comme le thé à Bamako, le lait caillé à Kayes, en pays Sarakolé, templiers fondateurs de l’Empire du Ghana,  est un parfum qui dure, qu’on n’oublie jamais.


Balla Moussa Keita, ambassadeur itinérant de Financial Afrik

7 Commentaires

  1. Magnifique! Un voyage au pays de mes ancêtres qui dépeint avec justesse ce pays Mandingue riche altier coloré.
    Grand merci à l auteur pour le partage de l œil, de la respiration et de la plume.

  2. Belle narration sur le pays Mandingue qui crée une nostalgie et une envie brûlante de s y rendre pour vivre ces traditions enrichissantes.
    Bravo et merci infiniment de nous fait revivre ces beaux moments de fêtes et de retrouvailles du peuple Mandingue

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici