Maria Nadolu, hypnotisée par la beauté des eaux du Nil.

Notre globe-trotter Maria Nadolu nous livre ses impressions fugaces en remontant le Nil à bord d’un voilier et en observant le Grand Barrage de la Renaisssance Ethiopienne, les yeux dans les yeux. Au fil de l’ eau c’est de l’équilibre fragile des rives du Nil et des plus grandes plaines humides de l’Afrique dont il est question.


Nous sommes assis à l’ombre d’un palmier à Assouan, et en me montrant la carte, ses yeux se dilatent en rêverie : «voilà le Nil, c’est comme un nénuphar qui s’ouvre, avec son delta, vers la mer Méditerranée; notre civilisation est intimement liée au Nil». L’essence des mots de mon ami égyptien semble être un leitmotiv national, étant repris même au niveau du discours institutionnel à l’heure de crise. En effet, dans une de ses tournées auprès de l’Union Africaine, au sujet du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD), le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, affirmait que le Nil est «une question existentielle pour l’Egypte». La déclaration présidentielle a fait le tour de la presse internationale en 2020. Un élément de plus, se rajoutant à la dynamique d’un dialogue régional tendu. Haut de 170 mètres et long de 2 kilomètres de long, le GERD deviendra la plus grande installation hydroélectrique d’Afrique.

Conçu pour soutenir le développement de l’Ethiopie et même produire de l’électricité pour l’exportation, cette construction pharaonique risque de changer la logique d’approvisionnement en eau de la région. Le Nil fournit à l’Egypte l’essentiel de son irrigation pour l’agriculture et de son eau potable. Le Soudan voisin craint que ses propres barrages ne soient endommagés par le remplissage complet du nouvel ouvrage. Au début d’ avril 2021, avant la saison des pluies, quand l’Ethiopie a continué le remplissage du barrage, des négociations « de la dernière chance » ont été entamées en République démocratique du Congo entre le pays de Négus, l’Égypte et le Soudan. Mais quel est le fil rouge qui connecte l’image poétique de mon ami et le choix de communication institutionnelle mis en avant dans le contexte hydro-politique ? Et surtout, quelle importance par rapport à la question du GERD ?

Environ 75 des 80 millions d’habitants de l’Égypte vivent dans le delta et dans l’étroite vallée du fleuve. Le Nil est la pierre angulaire de l’Égypte, une question vraiment existentielle, au-delà de toute rhétorique. Mais les nations en amont on leur propres besoins et leurs questions existentielles. Le Nil Blanc (Nahr-el-Abiad) prend sa source au lac Victoria (Ouganda, Kenya, Tanzanie) . Le Nil Bleu (Nahr-el-Azrak) est issu du lac Tana (Éthiopie). Les deux branches s’unissant à Khartoum, capitale du Soudan actuel. Le Nil se jette ensuite dans la Méditerranée en formant un delta au nord de l’Égypte. En comptant ses deux branches, le fleuve traverse le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Soudan du Sud, le Soudan et l’Égypte. Il longe également le Kenya et la République démocratique du Congo (respectivement avec les lacs Victoria et Albert), et son bassin versant concerne aussi l’Érythrée grâce à son affluent du Tekezé.

La légende dit que Isis, déesse de l’amour et de la magie, pleura la mort de son mari, victime d’un acte criminel et de ses larmes. Le Nil s’inonda et les terres deviennent fertiles. C’est le même Nil qui nourrit le Sahara afin de le rendre fertile. En Egypte antique, on installait des nilomètres pour savoir comment gérer les impôts et l’enthousiasme des agriculteurs, selon le niveau de l’eau. L’eau, denrée sacrée, fertilise la terre, avec son rythme d’inondations, et retraites, inspirant la renaissance et la vie après la mort. En Egypte antique, on avait construit de chapelles avec des statues des dieux et des tombes pour qu’elles soient inondées et ainsi bénies, offrant la promesse de la renaissance. Et cette promesse de la renaissance, sa beauté et sa richesse, chantées par les poètes, et les voyageurs, reste un atout stratégique pour le développement d’Egypte ; mais aussi et en égale mesure, pour le développement des autres pays qui le partagent.

Flottant sur une dahabiya, le traditionnel voilier aux origines remontant jusqu’à la barque solaire du pharaon Khéops, aprox. (- 2600 avant JC), et qui fut convertie au long du temps pour servir les préfets romains, les commerçants, les voyageurs fortunés et les archéologues, nous remontions le temps. L’on respirait, en fendant les eaux et les siècles, une connexion existentielle. La barque voguait avec le même esprit d’il y a un siècle ou des milliers d’années, suivant un vent qui souffle vers une direction et le courant qui va dans l’autre, facilitant la navigation. L’on se laisse porter et, dans le reflet des ondes, on aurait pu percevoir les larmes mais aussi les bénédictions du Nil, ce fleuve qui inspira au grecque Hérodote sa célèbre phrase: « L’Egypte est un don du Nil ».

«Le Nil est propre, depuis que je suis enfant, je bois son eau. Boit, boit!», invite, souriant, le marin d’une petite felouque. Une eau claire qui pourrait se transformer en une petite tornade bactérienne pour les voyageurs que nous sommes. Au -delà des questions d’hygiène…, il y a cette croyance forte à propos du Nil qui veut qu’on retournât toujours sur ses bords si l’on boit de son eau. Et, clairement, pas mal de voyageurs, convertis en passionnés, sont retournés et y sont restés. Hassan al-Wazzan dit Léon l’Africain (en latin Johannes Leo Africanus), diplomate et explorateur d’Afrique du Nord des XVe et XVIe siècles, premier à rendre des nouvelles sur l’Afrique suite à l’empire romain, semble avoir un vrai coup de foudre avec le Caire de l’époque…

Maria Nadolu sur les traces de Dorothy Eady.

Depuis la nuit des temps, la fascination pour la civilisation du Nil est impressionnante et dépasse le domaine rationnel. Profils différents mais même détermination d’y être et se donner pleinement. De l’archéologue Anglais Howard Carter, qui découvrit en novembre 1922 la tombe et le trésor de Toutânkhamon à ceux qui aujourd’hui entremêlent leur destin avec celui du Nil. Leurs rêves peuvent être différents – en ampleur, en couleurs et en intensité – mais le fil conducteur est toujours connecté au Nil. Tout revient au Nil, de la découverte historique au plus grand barrage du monde, en passant par une maison d’hôte, un livre, ou encore l’univers d’une histoire personnelle. Un des cas les plus émouvants, à mon avis, est Uum Seti (autrement connue comme l’anglaise Dorothy Eady) qui, vers 1908, récupérée à la suite d’un traumatisme crânien, visita le British Museum et, découvrant les statues égyptiennes, a la claire vision qu’elle appartenait à cette culture et qu’elle n’était, ni plus ni moins, que la femme du pharaone Seti I, réincarnée en bonne anglaise. La croyance que sa vraie maison et le temple d’Abydos a transformée toute sa vie, ce qui finalement l’a amené au bord du Nil et à Abydos.


Le partage colonial, source de maux

Sans être complètement acceptée du point de vue rationnel par les archéologues et les historiens, Dorothy Eady a pu, quand même, contribuer à quelques découvertes archéologiques grâce aux informations reçues dans ses rêves de son mari, le pharaon. Avec cette fascination, est- il plus facile de comprendre la bizarrerie de l’histoire coloniale britannique de la première partie du XXème siècle, selon laquelle seuls l’Égypte et son voisin, le Soudan, recevaient des droits sur les eaux du Nil et ce, en dépit du fait que le fleuve traverse 10 pays. Selon les chiffres, 80% de la capacité du Nil provient de ses sources en Ethiopie ? Peut-on aussi entrevoir l’esprit qui a poussé Nasser à opter pour la construction d’un barrage pharaonique et exclusivement égyptien, ignorant le projet qui proposait la construction des plusieurs barrages, au long du cours de Nil ?

En mai 2010, cinq nations du Nil en amont – l’Éthiopie, l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie et le Rwanda – ont signé un traité déclarant leurs droits à une part du débit du fleuve. Les pays riverains en amont ont dit qu’ils ne sont plus liés par le traité établi en 1959 par les Britanniques. Ce traité avait donné à l’Égypte 55,5 kilomètres cubes du débit du fleuve et au Soudan 18,5 kilomètres cubes, mais aucun droit formel pour aucune nation en amont. Et en 2011, en plein printemps arabe, l’Ethiopie annonça la construction d’un projet pharaonique, le Grand Barrage de la Renaissance. Ce projet n’est pas sans rappeler la structure gigantesque du barrage d’Assouan, symbole de la mégalomanie des années 1960, avec un coût sévère par rapport à l’équilibre de l’écosystème et au gaspillage de l’eau par évaporation du lac Nasser.

Dahabiya, un traditionnel voilier aux origines remontant jusqu’à la barque solaire du pharaon Khéops, aprox. (- 2600 avant JC)

Alors que les nations du Nil se disputent leur avenir, il y a toujours la parole pour le fleuve lui-même à considérer, pour les écosystèmes qui en dépendent ou pour les processus physiques dont dépend son avenir en tant que ressource vitale du plus grand désert du monde. «Ce qui est en danger ici, ce n’est pas seulement le Nil, mais aussi la plus grande zone humide d’Afrique et l’une des plus grandes prairies inondables de l’ecozone afrotropicale du monde Sud», notait Fred Pierce dans Yale Environnement 360. Et de tirer la sonnette d’alarme: «à long terme, les abus actuels de la rivière ne sont pas durables. Mais les politiciens veulent toujours extraire plus de la rivière ». Est-il possible de changer la logique en considérant la coopération comme seule option possible pour la hydro-politique, aussi bien pour le bienêtre des écosystèmes que pour l’économie? Les anciennes obsessions du  » gigantisme » et de l’exclusisme nationaliste ne semblent plus fonctionner, ni pour l’Egypte, ni pour l’Ethiopie. Et en ces jours de négociations dites de la «dernière chance», il est peut-être temps d’ imposer une logique du raisonnable pour un bien intégré ? De construire une vision «existentielle» intégrée du bienêtre des écosystèmes et des civilisations du Nil, afin de dépasser les limites du rêve pharaonique, entre larmes et bénédictions.

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